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Channel: Un air de défi
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Une Juliette sans folie

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Les romans de Sade ont été servis de manière plus ou moins réussie, à mes yeux, lorsqu’ils ont été adaptés en bande dessinée. Autant la Justine de Guido Crepax m’a plu, par son graphisme, par les choix de composition des cases et des pages, autant le Juliette de Sade de Philippe Cavell (dessin) et Francis Leroi (scénario) m’a donné l’impression d’une BD pornographique plate.


La violence physique et mentale n’y manque pas, les scènes crues non plus, mais le trait, la construction, n’ont pas de souffle un peu « fou ».
J’avais dit, pour un autre billet de ce défi, que l’adaptation du roman Fanny Hill de John Cleland par ce même dessinateurétait trop imprégnée de ce style « franco-belge » qui manque de panache, de mouvement. Ici, même défaut, pour moi.


Quant au scénariste de cette BD, Francis Leroi, n’oublions pas qu’il a été réalisateur de films aux titres particulièrement légers, comme L’infirmière n’a pas de culotte (1980) ou Cette salope d’Amanda (1978) (je précise, si besoin est, que j’ai trouvé ces titres sur sa fiche IMDB, et non dans ma vidéothèque personnelle !). C’est dire si le scénario de la BD promettait de faire dans la dentelle, en se basant sur l’Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice (1801) de Sade (Juliette étant, pour ceux qui ne sont pas familiers de leur arbre généalogique, la sœur de Justine).

Le duo a commis deux tomes : Juliette de Sade et L’ermite de l’Appenin (Éditions Dominique Leroy, 1979, ISBN 2-86688-002-1, et 1983, ISBN 2-86688-083-8 respectivement).


Alors, oui, dans cette Juliette de Sade de Cavell et Leroi, ça fout, ça fouette, ça tue, mais ça ne me convainc pas.


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Le libertinage comme un art de vivre

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A force de publier des billets autour de Sade et de son œuvre pour ce challenge Badinage et libertinage, les lecteurs vont finir par croire que le libertinage dix-huitiémiste se résumait à tourmenter d’innocentes jeunes filles qui n’avaient le choix qu’entre accepter d’être ballottées de baron salace en moine dépravé, et prendre leur vie en main en se prostituant pour gravir les échelons de la société.
Tout comme, à notre époque, le terme de « libertin » a fini par perdre son sens premier pour ne plus désigner que l’amateur de relations échangistes ou de pratiques débridées, tarifées ou non (et pas uniquement dans le cas des affaires impliquant un ancien très haut cadre d’une institution financière internationale, quelques-unes de ses connaissances et des demoiselles à la cuisse légère dont il dit ignorer qu’elles étaient des accompagnatrices à solde).


Bon, je n’irai pas jusqu’à prétendre que les libertins au XVIIIe siècle de ce temps-là n’étaient que des philosophes bousculant, à leur manière, l’ordre établi, qu’il soit moral ou religieux. Mais j’ai tendance à y voir, toutefois, au-delà de la seule licence des mœurs, un certain art de vivre, un art de la séduction, dans ce mélange des plaisirs de l’esprit et du corps.
Peut-être parce que ma conception du libertinage est joyeuse et raffinée, très directement inspirée par un Casanova beau parleur et « sapé comme un milord » (comme on dira bien des décennies plus tard), ou encore de l’image foutraque et jouissive que donne Bertrand Tavernier du régent Philippe d’Orléans (Philippe Noiret à l’écran, extraordinaire) et de l’abbé Dubois (Jean Rochefort, encore mieux) dans Que la fête commence !


C’est cette nature, complexe et non simpliste, que nous invite à découvrir La France au temps des libertins, un ouvrage concocté à plusieurs mains par Jacqueline Queneau(sociologue), Jean-Yves Patte (historien d’art et musicologue), Alexandre Bailhache (photographe) et Caroline Lebeau (styliste), aux éditions du Chêne (2001, ISBN : 2842772989).


La présentation de ces quatre personnes, sur le rabat intérieur du livre, est la suivante (comme le livre date de 2001, les références au « récemment » doivent être prises au regard de cette date, bien sûr.

« Jacqueline Queneau, sociologue, passionnée d’histoire, de musique et d’art plastique, apporte depuis de nombreuses années sa collaboration à différentes institutions culturelles. Elle participe à l’organisation de manifestations liées au patrimoine historique. En Bourgogne, dans le domaine du livre, cette universitaire contribue activement à la mise en valeur du patrimoine écrit ancien, et à la découverte de certains auteurs dans le cadre du « Livre en scène ».

Jean-Yves Patte est historien d’art et musicologue. Après avoir collaboré avec différents musées, il se tourne vers la recherche en archives et les publications. Il s’attache à montrer combien les habitudes du passé ont pu forger notre art de vivre contemporain. Il a été, récemment, avec Caroline Lebeau, consultant pour les arts de la table sur le tournage du film Vatel.

Jacqueline Queneau et Jean-Yves Patte ont publié, aux éditions du Chêne, Mémoire gourmande de Madame de Sévigné, Les Promenades de Chateaubriand et Les Promenades de Frédéric Chopin.

Alexandre Bailhache est photographe. Passionne de cuisine, de décoration et de jardins, il travaille avec les plus grands magazines en France et à l’étranger. Il a publié, aux éditions du Chêne, Mémoire gourmande de Madame de Sévigné, Rodin, le festin d’une vie et La Perse des écrivains-voyageurs.

Caroline Lebeau, styliste anglaise, travaille pour de nombreux magazines de décoration internationaux. Elle a participé également aux livres Mémoire gourmande de Madame de Sévigné et Rodin, le festin d’une vie. Elle a travaillé récemment sur les décors de table du film Vatel. »



Le livre aborde aussi bien les décors intérieurs et extérieurs des maisons et parcs où se tissaient les relations, que les parfums et les cabinets de curiosités, ou encore l’art des mouches et les dîners galants, les plaisirs de la chasse et de l’opéra.
Les textes ne sont pas une évocation superficielle de ces différents aspects, mais des articles qui arrivent à être à la fois courts et riches.


La composition du livre, elle, mêle très habilement de reproductions de tableaux (du Déjeuner d’huîtres de Jean-François de Troy à la Jeune femme à sa toilette de Nicolas Lanfresen dit Lawrence), de gravures, de tapisseries, et de superbes photographies actuelles de parcs (châteaux de Canon et de Groussay, entre autres), de statues, de mobilier, de natures mortes, etc.


Plus anecdotiquement, le livre se termine sur un cahier fermé regroupant des reproductions de gravures (d’après Antoine Robel ou François Boucher, par exemple), et des extraits de textes libertins (Mirabeau, Boyer d’Argens, etc.).

Un ouvrage superbe.


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T’as l’bonjour des Marquises

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A tous ceux (dont je suis) qui aiment les carnets de voyage, témoignages impressionnistes en croquis et aquarelles et en lignes jetées sur le papier, à tous ceux (dont je suis) qui en ont assez que dès que l’on évoque les îles Marquises, les noms de Paul G. et de Jacques B. déboulent comme si personne d’autre n’avait vécu ou ne vivait aujourd’hui dans ces îles, à tous ceux (dont je ne suis pas) qui ont croisé dans ces eaux ou foulé ces terres et qui veulent en garder un souvenir vivant et coloré, et à tous les curieux qui aiment voyager par les livres, je conseille Ka’oha nui, carnet de voyage aux îles Marquises, de Sébastien Lebègue (éditions Au vent des îles, 2010, ISBN 978-2-9156-5461-5).

 


Près de deux mois de voyage, en octobre et novembre 2007, dont l’auteur nous offre le récit depuis l’attente dans la salle d’embarquement de l’aéroport de Faa’a sur l’île de Tahiti, jusqu’aux derniers regards, aux derniers mots, avant de quitter ces îles. Croquis en noir et blanc et aquarelles lumineuses, paysages panoramiques et portraits en gros plans, sites sacrés archéologiques et églises d’aujourd’hui, émeraude de la mer, noir du ciel chargé de nuages, rouge flamboyant des paréos, Sébastien Lebègue n’en reste pas aux habituels clichés de ces lointaines îles : il nous amène aussi au contact des Marquisiens, nous faisant partager des moments comme il les a lui-même partagés au gré des rencontres.


Aventure humaine et expérience artistique, selon les propres mots de l’auteur-dessinateur-peintre :
Ce projet était avant tout une belle aventure humaine et une découverte culturelle, mais je l’ai aussi vécu comme une performance et une aventure artistique. Dans ma recherche de mise en empreinte du présent, mon objectif était de noter à la fois l’environnement, d’inscrire les événements qui s’y produisaient et d’en nommer leurs acteurs.
Mon référé reflète mes rencontres instantanées ou prolongées, les anecdotes de vie que les marquisiens m’ont fait partager, mes observations culturelles et les diverses beautés de paysages. Il n’est le résultat que de mon parcours et de mes opportunités. Je me suis laissé guider avant tout par les propositions, les instants de vie et les circonstances du présent.
Ces 366 pages d’illustrations et de textes ont été produites aux Marquises. Ces compositions ont été notées dans l’instant pour qu’elles restent fidèles à la réalité du vécu. Les Marquisiens ont découvert ce même livre quand je l’ai produit en leur compagnie.

Même sans avoir lu ces mots de S. Lebègue avant d’avoir lu son livre (que j’ai emprunté, à la volée parmi d’autres livres, dans une médiathèque municipale), j’avais ressenti cela.


Un petit regret : la composition est parfois touffue, en particulier pour les textes, au point d’être un peu étouffante, ce qui est un paradoxe pour des îles et des gens si ouverts. C’est donc plutôt le genre de livre que l’on déguste, peu à peu, pour savourer sans engloutir. Il faut le prendre, le poser, le reprendre, s’en aller, y revenir.

C’est le genre de voyage que chacun entreprend à son rythme, mais un voyage qui ne se refuse pas.


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Courage, fuyons !

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N’ayant pas franchement le goût du martyre « culturel », je n’ai jamais éprouvé de honte à laisser un livre me tomber des mains quand sa lecture devient une épreuve insupportable ; ni à quitter mon siège de spectateur face à un film, une pièce de théâtre ou une représentation musicale qui confine au calvaire.
Ma dernière retraite stratégique, en matière cinématographique, je l’ai mené face à une armée hétéroclite menée par quelques figures qui ont montré, en d’autres occasions, qu’elles ont – ou avaient – du talent (comme Fany Ardant, avec son charme à la fois proche et distant), épaulées par des gloires de la guerre précédente (Michel Serrault, qui parodie Serrault), trahies par des colonels qui ont acheté leur régiment sans avoir le moindre talent guerrier (Arielle Dombasle, qui donne envie de l’étrangler pour la faire taire), acoquinées avec des officiers fantasques qui ne brillent qu’à une bataille sur cinq (Vincent Perez, largement mieux inspiré dans Le Bossu de Philippe de Broca) ou dont on se demande ce qu’ils viennent faire là (Josiane Balasko, endossant un rôle tout en lourdeur et vulgarité), le tout sous le bâton d’un maréchal dont on a du mal à citer une bataille talentueuse (ne parlons même pas d’une bataille raffinée !).
Oui, aimables lectrices et lecteurs, j’ai battu en retraite – mais dans la dignité, bien sûr – face au Libertin(2000) de Gabriel Aghion.



Pour le dire simplement, ce Libertin est au genre libertin dix-huitiémiste ce que Blanche (2002) de Bernie Bonvoisin est au genre de cape et d’épée. Un « truc » indéfinissable, qui semble essayer de mélanger les références irrévérencieuses aux canons du genre et la kolossale farce franchouillarde. Indéfinissable, mais pas inqualifiable, au moins sur l’échelle de mes goûts : le degré zéro.
Je comprends qu’Éric-Emmanuel Schmitt n’ait pas été ravi de voir qu’Aghion a fait de sa pièce de théâtre, Le libertin (1997), dont le film s’est inspiré (de loin, en ce qui concerne la légèreté...).

Le libertin, c’est Denis Diderot, qui se réfugie dans le domaine rural du baron et de la baronne d’Holbach, pour écrire sans tarder l’article « Morale » de l’Encyclopédie. Manque de chance pour lui, le château des Holbach est fréquenté par une faune foutraque, un cardinal dévot, une nymphomane, deux bougres, un eunuque, j’en passe et des moins légers. Alors voilà Diderot en funambule, marchant sur le fil qui sépare la philosophie (et sa morale collective) et le libertinage (et ses plaisirs personnels).
Celles et ceux qui ont applaudi le Pédale douce du même Gabriel Agion – celui qui avait adapté la britannique et succulente et grinçante série Absolutely Fabulous(1992-2012) pour en tirer le navrant film Absolument fabuleux(2001) – applaudiront peut-être ce Libertin. Pour ma part, j’ai plié bagage.

Je vais plutôt me revoir Ridicule (1996) de Patrice Leconte ou Que la fête commence ! (1975) de Bertrand Tavernier. La comédie grinçante dix-huitiémiste, il y en a qui savent faire.


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L’aiguillon vers l’avenir

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Je n’ai jamais mis une semelle de chaussure, un pied de cheval ou une roue de moto en Mongolie. L’envie ne m’en manque pas, mais le voyage ne s’est pas encore fait, si ce n’est au travers de livres, de photos, de reportages télévisés. Un de mes guides dans ce genre de voyage est l’écrivain Galsan Tschinag, que j’avais découvert grâce aux éditions Picquier, et à mes deux premières lectures de récits sous sa plume, Belek, une chasse dans le Haut Altaï, et La fin du chant.
Avec Die Karawane (1997 ; La caravane, publié en français aux éditions L’esprit des péninsules en 2006, et chez Picquier Poche en 2011, ISBN 978-2-8097-00328-3), c’est un voyage très particulier que Galtsan Tchinag nous raconte. Le récit en est d’autant plus particulier que Tschinag est à la fois l’organisateur de ce voyage et son narrateur.


Mais le mot « voyage » est trop faible. Plus qu’un récit de voyage, c’est un récit de migration d’un peuple. Mais pas une migration saisonnière dont les peuples nomades sont coutumiers. Ni une de ces migrations forcées, bien hypocritement appelées « déplacements de populations », conséquences de guerres ou d’« épurations ethniques » (expression immonde qui laisse penser que certains constituent des impuretés).
Cette « caravane » d’hommes, femmes, enfants, chevaux et chameaux, c’est celle par laquelle Galsan Tschinag ramène une partie de son peuple, les Mongols Touvas, jusque dans leur territoire d’origine, le district de Tshengel dans le Haut-Altai, le plus occidental des 21 districts de Mongolie. Tschinag s’était fait cette promesse à lui-même, pour « corriger », à sa manière, la dispersion territoriale dont les Touvas avaient été les victimes pendant l’ère sombre du communisme en Mongolie.



Le livre est fort, et dérangera peut-être certains lecteurs, non seulement par sa structure mais également par le ton de l’auteur.
La première moitié du livre replace le lecteur dans le contexte historique, géographique, politique, ethnographique, de cette drôle d’épopée, en aller-retour depuis les années sombres du joug des commissaires politiques jusqu’aux derniers préparatifs de la caravane. Tschinag est un personnage essentiel de cette partie du récit, mais il apparaît comme distancié de l’auteur, qui parle de lui-même à la troisième personne, sans utiliser son nom d’auteur.
Et la deuxième partie est le récit quotidien de cette migration, du 3 mai 1995 au 11 juillet suivant. Et là, Tschinag passe au « je », partageant avec le lecteur des images objectives et suggestives, ses élans et ses doutes, des scènes tragi-comiques et des réflexions profondes sur ces peuples pris entre leurs racines nomades et le confort piégeur et « déculturant » de la sédentarisation.



Ce qui peut dérouter, c’est la franchise avec laquelle Galsan Tschinag expose son ambition et son regard sur les Touvas.
Son ambition ? Rien moins que celle-ci, qui ouvre le prologue : « Je veux écrire une page d’Histoire ». Et qui revient en ouverture de l’épilogue : « J’ai voulu écrire une page d’Histoire. Voilà qui est fait. »
Quant aux Touvas qu’il ambitionne de réveiller pour cette migration de retour, Tschinag les dépeint abrutis d’alcool, chapardeurs, fainéants.
Alors, Galsan Tschinag, mégalomane et méprisant ? Je ne l’ai pas ressenti comme cela, au final, même si certains passages du livre sont cinglants. Il me semble qu’il s’agit plutôt d’un homme porté par un projet un peu fou, et pleinement décidé à sortir une partie de son peuple de ce qui lui semble une déchéance, pour lui redonner une dignité et un avenir (et pas seulement un retour dans le passé).

Tschinag aiguillonne les Touvas, et en cela il aiguillonne aussi l’esprit des lecteurs. Il nous fait quitter notre zone de confort, et c’est salutaire, même si ça peut déranger.


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Le besoin d’une frontière ?

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C’est une ébouriffante leçon de géographie que j’ai prise à la lecture d’Aux frontières de l’Europe de Paolo Rumiz (éditions Hoëbeke, 2011, ISBN 9782842304027 ; éditions Gallimard, collection Folio n°5410, 2012, ISBN 9782070447527). C’était ma première rencontre avec cet auteur prolifique, à la fois journaliste et écrivain et, en l’occurrence, voyageur. Grand voyageur, même. Mais pas une leçon de cette géographie réductrice à laquelle les enseignements scolaires peuvent nous cantonner, géographie de cartes austères et de chiffres qui ne le sont pas moins. Autant « la carte n’est pas le territoire », autant les chiffres ne sont pas les gens. Et ce voyage en compagnie de Paolo Rumiz est un voyage de géographie roborative, humaine, vivante. Bien loin du cloisonnement artificiel entre disciplines, cette géographie-ci se mêle d’histoire, de sciences naturelles, d’économie, de linguistique, et de tout un tas d’autres ingrédients qui se refusent à entrer dans des cases.


Paolo Rumiz a suivi, dans son périple, les frontières orientales de l’Europe. De l’Europe d’aujourd’hui, précisons-le, principalement prise dans son sens « conglomérat de pays rassemblés dans l’Union européenne ». Du Nord au Sud, de ce côté-là, de la frontière Finlande / Russie à la frontière Bulgarie / Turquie, de mer de Barents à mer Noire, on parle tout de même d’environ 6.000 km. En gros, c’est le double de la distance Paris-Moscou, ou bien la distance Paris-New York. Mais, plus que de distances, chiffrées, on parle ici de territoires aux noms qui sonnent beau, comme la Livonie, la Mazurie, la Bessarabie, ou encore la Courlande que Jean-Paul Kauffman avait rappelée à la mémoire de ses lecteurs. Des noms de territoires souvent emportés dans le tourbillon de l’Histoire, déchiquetés par les appétits impérialistes, remodelés par d’impitoyables et inhumains vainqueurs de guerres, écrasés sous les rouleaux compresseurs des totalitarismes. Des territoires dont les frontières ne doivent souvent rien à la géographie physique, aux fleuves, aux reliefs, mais tout au poids des conflits. Des frontières qui, aujourd’hui, séparent parfois des espaces où règne d’un côté la liberté de circuler et de l’autre le carcan d’une bureaucratie grisâtre et toute puissante.

(carte tirée de l'ouvrage)

Pourtant, le récit de Paolo Rumiz n’est pas un tableau d’une désespérante noirceur. Parce qu’il est bâti non pas sur la relation de ses pas, de ses déplacements en taxi ou en train, mais sur ses rencontres. Bien évidemment, chacune de ses rencontres n’a pas la prétention d’être représentative de tous les habitants de sa contrée ; mais chacun de ces rencontres, par les anecdotes qu’elle fait vivre à Paolo Rumiz et qu’il nous livre ensuite avec ses mots, constitue un bout de ce kaléidoscope foisonnant et, plus souvent qu’à son tour, surprenant : de l’éleveur de rennes au clerc ancien membre des forces spéciales russes, de l’orphelin déboussolé sortant de prison à la grand-mère qui cuisine ses blinis, des contrebandiers à la petite semaine aux douaniers kafkaïens, des orthodoxes schismatiques aux juifs, tenants de religions presque disparues de ces endroits. Quelques fantômes, aussi, ceux de peuples massacrés ou déplacés, et dont l’absence se lit en creux.



En lisant Rumiz, comment ne pas comprendre que certains puissent être attachés aux frontières ? Mais pas une frontière-mur, un repoussoir chargé de tenir « les autres » à distance. Plutôt une frontière-porte, de ces portes que l’on a plaisir à passer pour aller voir de l’autre côté. Une frontière à la fois repère d’identité et invitation à la découverte. Ce que les accords de Schengen ont fait tomber en partie et dont Paolo Rumiz nous aide à comprendre le manque, en se (et nous) confrontant aux frontières encore existantes, à ces marges orientales de « notre » Europe.

En lisant Rumiz, je m’interrogeais aussi, justement, sur « notre » Europe : tout européen (au sens politique) convaincu que je sois, ai-je vraiment plus de points communs avec un Lituanien (« européen », lui aussi) qu’il n’en a avec un Biélorusse (« non européen ») ? Que partageons-nous vraiment, nous, « Européens », qui soit plus solide qu’une monnaie pas tout à fait unique et un drapeau que nous ne brandissons, avouons-le, presque jamais ? Je n’ai pas de réponse à ma propre question.

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Pour accompagner le texte de Paolo Rumiz, n’hésitez pas à regarder les photographies de son amie Monika Bulaj, qui était à ses côtés pendant ce voyage aux frontières de l’Europe :
http://www.monikabulaj.com

Et plongez-vous dans les 4 articles publiés, suite à ce périple à deux regards, dans Courrier international en 2009. Et l’interview de Paolo Rumiz dans ce même Courrier international, en juillet 2011 : « Le cœur de l’Europe bat à l’Est ».


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Un fusil, un chien, une caravane, une plume

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Quand Mille femmes blanches de Jim Fergusétait paru en 2000 (traduction en français de One Thousand White Women: The Journals of May Dodd, 1998), je l’avais sciemment ignoré. Non pas sur un a priori négatif ou un manque d’intérêt pour le sujet, mais parce que le battage médiatique sur ce livre avait eu sur moi l’effet inverse de ce qu’il était censé produire : le rejet épidermique. Je n’ai donc pas fais connaissance avec ce Jim-là à cette époque.
Mais, si je n’ai toujours pas lu Mille femmes blanches, j’ai récemment découvert, avec grand plaisir, l’écriture de Jim Fergus grâce à son récit A Hunter's Road : A Journey with Gun and Dog Across the American Uplands (1992). Le titre de la traduction française, Espaces sauvages (Le Cherche midi, 2011, ISBN 978-2-7491-1132-2 ; fiche sur le site de l'éditeur), par sa sobriété, nous fait perdre le sens du titre original qui est, pour une fois, un bon indice du contenu.



Mes premières lectures de récits de chasse, fictionnels ou pas, ont été – pour autant que je m’en souvienne – des grands classiques comme La gloire de mon père (1957) de Marcel Pagnol, Tartarin de Tarascon (1872) d’Alphonse Daudet, Dersou Ouzala (1921) de Vladimir Arseniev (porté au grand écran par, entre autres, Kurosawa Akira en 1975), ou des ouvrages moins connus comme Peuples chasseurs de l’Arctique (1966) de Roger Frison-Roche.
Par la suite, c’est un genre qui ne m’a pas vraiment attiré, à part sous forme de documentaires télévisés sur des sujets spécifiques, comme la chasse du loup avec un aigle par les nomades des steppes asiatiques, et encore, sous un angle plus ethnographique que directement cynégétique.

En partant ainsi pour 5 mois avec son chien Sweetzer, son fusil et sa caravane pour un périple de 27.000 km à travers près de la moitié des États des États-Unis, pour tirer 21 espèces d’oiseaux emblématiques (et autorisées à la chasse !), Jim Fergus réalise son rêve d’adolescent. Et, pas égoïste, il m’a happé, au passage, dans son voyage, surtout par le ton qui l’imprègne de bout en bout. Ni apologie de la chasse ni réquisitoire contre cette activité, ce livre ne cherche pas à convertir le lecteur en chasseur ni en militant anti-chasse. Il souligne, sans chercher à donner des leçons mais sans dissimuler les responsabilités, les changements des paysages et des écosystèmes sous la pression de l’agriculture céréalière, de l’élevage, de la foresterie, l’ambiguïté des sociétés de chasse qui promeuvent le développement de leur activité (et donc de la mortalité sur les espèces chassées) tout en négociant avec les groupes forestiers ou industriels pour qu’ils préservent des habitats de ces espèces.


Jim Fergus mêle habilement le récit de ses parties de chasse, avec une touche d’autodérision que l’on imagine bien lu, en voix off, par un Jean Rochefort au mieux de sa forme, des considérations sur la gestion des espaces « naturels » aux États-Unis, et surtout des portraits qui font l’essentiel de la saveur de ce livre. Biologistes spécialistes de la gélinotte, guides de chasse au service de crétins (osons le mot) venus se couper de leur vie professionnelle en tuant quelques volatiles, romanciers et poètes de l’Amérique dite « profonde », amis de longue date perdus de vue et retrouvés à l’occasion de ce voyage, serveuses de bars à chasseurs, impossible de s’ennuyer en croisant tous ces personnages du quotidien et, en même temps, plus grands que nature.

Même si vous n’avez ni chien ni fusil, n’hésitez pas à suivre la piste de Jim Fergus !

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L’ouvrage du même Jim Fergus, The Sporting Road: Travels Across America in an Airstream Trailer – With Fly Rod, Shotgun, and a Yellow Lab Named Sweetzer (St. Martin's Press, 2000, ISBN 978-0-312-24245-9) semble une édition révisée / augmentée de son Hunter’s Road. Ce titre a le mérite d’une truculence particulière : La route de chasse et de pêche : voyages à travers l’Amérique dans une caravane Airstream – avec canne à mouche, fusil, et un labrador jaune nomme Sweetzer.



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(Fl)ânerie cévenole

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Passé à la postérité pour les chefs-d’œuvre que sont son roman Treasure Island / L’Île au trésor(1883) et sa nouvelle The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde / L’Étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde (1886), Robert Louis Stevenson est également bien connu des amoureux des randonnées pédestres, surtout en France, grâce à ses Travels with a Donkey in the Cévennes / Voyage avec un âne dans les Cévennes (1879).



Ces « travels », devenus seulement « voyage » en passant de l’anglais (ou de l’écossais, Stevenson étant natif d’Édimbourg) au français, sont autant singuliers que pluriels.
Singuliers, parce que c’est le périple d’un homme seul, accompagné d’une seule bête de bât, l’ânesse Modestine. Singuliers, parce que c’est l’occasion pour Stevenson, encore jeune (il n’a pas 30 ans) et pas encore célèbre (il ne publiera L’île au trésor que 5 ans plus tard), de faire déjà le point sur lui-même, sa vie, ses amours malheureuses. Singuliers, parce que c’est la lecture d’une romancière française, George Sand, qui donne l’envie à cet auteur écossais de découvrir l’Auvergne. Singuliers, parce que c’est surtout après la mort de Stevenson que ce récit de voyage va connaître la notoriété.
Pluriels, parce qu’ils sont une découverte géographique d’une contrée restée rude, mais aussi un cheminement historique dans les souvenirs des persécutions des Protestants (en particulier pendant la « guerre des Camisards » au début du XVIIIe siècle). Pluriels, parce que le récit que Stevenson tire de son voyage de moins de deux semaines mêle des textes écrits sur le moment – le journal de son périple – et des textes écrits plus tard – les précisions historiques sur l’écrasement du soulèvement protestant.



Balade poétique, réflexion spirituelle, ce Voyage avec un âne dans les Cévennes, en douze jours et trente lieues, se lit au pas d’un homme que rien ne presse et au rythme d’une ânesse qui ne dément pas la réputation d’entêtement de ces animaux auxquels il est toutefois difficile de ne pas s’attacher.

À ceux qui ont déjà lu le récit de Stevenson, comme à ceux qui ne l’ont pas encore lu (et le liront peut-être, ou peut-être pas), je conseille l’adaptation en bande dessinée, due à Juliette Lévéjac (éditions De Borée, 2013, 978-2-8129-0747-0). Son trait élégant et jovial sert de très belle manière l’ouvrage originel ; j’aurais toutefois préféré que le texte fût, par moments, moins présent, et laissât un peu plus de place à la flânerie et à la contemplation.



Les plus déterminés pourront mettre leurs pas dans ceux de Stevenson en suivant le chemin de grande randonnée 70 (GR70), explicitement dénommé « chemin de Stevenson ». Au besoin, ils bénéficieront des conseils de l’association Sur le chemin de Robert Louis Stevensonpour préparer leur voyage.




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Année nomade

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Les voyages organisés à la découverte du mode de vie des nomades de Mongolie ne manquent pas, et les amoureux de randonnée pédestre ou – surtout – équestre, ainsi que de photographie y trouvent leur compte. Et je ne doute pas qu’une ou deux semaines dans ces extraordinaires paysages et au contact de gens dont le mode de vie est différent du nôtre soit une aventure humaine hors du commun.
Mais quelques jours ou quelques semaines n’amènent qu’à entrevoir cette vie si particulière. Surtout si le séjour se déroule, pour le confort de ces touristes (même sans volonté péjorative de ce qualificatif), pendant la belle saison. Qu’en est-il des mois d’hiver, quand il s’agit plus de survivre que de vivre ?
C’est ce qu’Antoine de Changy et Célina Antomarchi-Lamé nous invitent à découvrir avec Une année chez les cavaliers nomades de Mongolie (Presses de la Renaissance, 2010, ISBN 978-2-7509-0600-9 ; fiche éditeur).



Quand il se déploie sous les yeux du lecteur, le format à l’italienne étire le regard, ouvre l’esprit, invite à prendre le temps. Il est, ici, pleinement adapté aussi bien à l’étendue des paysages à couper le souffle qu’aux portraits rapprochés qui nous happent dans l’espace vital de ces gens.
Antoine de Changy et Célina Antomarchi-Lamé ont partagé, d’octobre d’une année à octobre de l’année suivante, la vie d’une famille kazakhe nomade du Haut-Altaï. Un partage qui s’est décidé sur une simple invitation d’un éleveur qui les hébergeait un soir, pendant leur traversée de l’Asie à vélo : « Venez passer l’hiver chez moi si vous voulez ». Des mots si simples pour une vie si peu ordinaire pour nous, « Occidentaux modernes ».



Ils ont partagé cette année avec ces éleveurs nomades, et nous en transmettent leurs ressentis par des photographies pleines de force et des textes discrets, qui en paraissent presque retenus face aux émotions qui naissent des images.
Vous me trouverez probablement très convenu, voire prévisible, mais je n’hésite pas à écrire que ce livre est de ceux qui nous remettent les pieds sur terre, en nous confrontant – par auteurs photographes interposés, certes – à ces existences où l’homme s’adapte à son univers plutôt qu’il ne cherche à adapter l’univers à lui. Ici, les saisons sont reines, les cycles naturels commandent à l’homme, et presque tout tient à l’essentiel. Le pâturage, la transhumance, la fauche, la tonte, la yourte et l’isba, le feutre et le bois, le feu, le cheval mais aussi le camion, la chasse à l’aigle mais aussi au fusil, une vie entre tradition et actualité.



Une année entière chez Arkhat et son épouse Alten, ou plutôt avec Arkhat et Alten et les autres. Cela n’a certainement pas fait d’Antoine de Changy et Célina Antomarchi-Lamé des nomades kazakhes à part entière, mais je vous parie trois chevaux et deux yacks qu’ils en sont revenus transformés.



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Un peu d'air frais

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Mon « air de défi » s’était fait très discret, toute cette année 2014, au point que je n’ai rien publié ici depuis un an. Rien publié, mais pas rien lu. Et je n’ai pas non plus perdu le goût de me frotter à quelques défis littéraires de la blogosphère.

Autant dire que 2015 verra mon « air de défi » reprendre des couleurs. Les menus que je concocterai pour relever ces nouveaux défis utiliseront des ingrédients classiques de ma cuisine : coups de cœur et coups de gueule, pour des œuvres connues ou méconnues, de bon ou de mauvais goût, d’ici ou d’ailleurs, de temps actuels ou anciens.
Que vous partagiez mes avis ou pas, n’hésitez pas à laisser un commentaire pour me le dire : je ne censure aucun message (*).

A bientôt !




(*) à part, bien sûr, les robots qui essaient de publier des annonces pour « des herbes à effet virilisant incroyable » ou pour des « montres de grandes marques presque aussi vraies que les vraies ».


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Casanova en grands voyages

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Un bateleur de foire pourrait en crier les dimensions hors normes : 48cm de haut par 33cm de large, près de 3kg sur la balance !
Mon retour dans les salons de Monsieur de C., après une si longue absence épistolaire, se devait d’être à la (dé)mesure de Casanova. Et il devait aussi être un clin d’œil au thème du voyage. Le livre en très grand format Les voyages de Casanova (Citadelles & Mazenod, 2014, EAN 9782850886256 ; fiche sur le site de l’éditeur) ravira les amateurs de beaux livres et plaira à ceux qui, même s’ils connaissent déjà bien la vie du célèbre Vénitien, aime à découvrir des ouvrages exploitant cet univers si riche.



Ici, pas de surprise sur les textes extraits d’Histoire de ma vie, la somme (plus ou moins) autobiographique de Casanova, dans l’édition passionnante établie par Francis Lacassin (Ed. Robert Laffont, collection Bouquins, 1993), dont j’ai déjà eu l’occasion du dire du bien. Les autres textes, de la plume de Marco Carminati, historien de l’art – qui aussi écrit, par ailleurs, sur Piero della Francesca –, apportent quelques perspectives complémentaires.

Casanova a parcouru la grande Europe avec, comme principaux bagages, son esprit éclairé, son bagout bien d’aplomb, son charme sur les femmes comme sur les hommes, son élégance jusque dans la tricherie, sa capacité à retomber sur ses pattes comme les chats.
Ce beau livre évoque les voyages de Casanova au travers de textes touchant à des villes (Venise, Vienne, Paris, Londres, Berlin, Moscou, Madrid), des grandes plumes (Jean-Jacques Rousseau, Voltaire) et des despotes plus ou moins éclairés (Frédéric II de Prusse, Catherine II de Russie), des amours pas toujours faciles (Ester), et des épisodes peu glorieux dont il fera des moments de gloire (son incarcération puis évasion de la prison des Plombs, ou encore le duel au pistolet contre le comte Braniski).

Quant aux illustrations, elles mêlent, de façon assez originale, des images très différentes : des photographies en noir et blanc des villes évoquées, remontant aux années 1870 à 1930 ; quelques tableaux de peintres contemporains de Casanova, dont celui de Jean-François de Troy en couverture, La déclaration d’amour (1724) ; et des aquarelles d’Auguste Leroux, qui illustraient l’édition d’Histoire de ma vie de Javal et Bourdeaux (1932).



Même s’il n’a rien de révolutionnaire ou de renversant dans la production autour de Casanova, c’est un ouvrage qui saura faire plaisir aux amateurs de beaux livres et aux passionnés de Casanova.


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Le point sur le défi « Le siècle des Lumières »

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Le défi « Le siècle des Lumières » court jusqu’au 16 novembre 2017 (date du tricentenaire de la naissance de l’encyclopédiste d’Alembert). Il s’agit publier des billets sur des œuvres ayant un lien avec ce siècle des Lumières (romans, pièces de théâtre, essais philosophiques ou scientifiques, œuvres musicales écrits durant la période 1670-1820 par tout auteur de cette Europe des Lumières ; romans contemporains ou films se déroulant à cette période et faisant intervenir un personnage ou un combat emblématique du thème ; expositions, documentaires, etc, y faisant référence, etc.)

Ce défi comporte 9 « grades » :
  • Mme de Tencin : 1 billet
  • Lavoisier : 2 à 4 billets
  • Condorcet : 5 à 9 billets
  • Mme du Deffand : 10 à 14 billets
  • Voltaire : 15 à 19 billets
  • Emilie du Châtelet : 20 à 24 billets
  • D’Alembert : 25 à 29 billets
  • Olympe de Gouge : 30 à 35 billets
  • Diderot : plus de 35 billets

Je vise le niveau Diderot.



Voici les œuvres sur lesquelles j’ai publié des billets, pour l’instant (1 beau livre, 2 romans, 1 BD, 1 supplément à une série de BD) :
  1. Les voyages de Casanova (2014) [beau livre]
  2. Olivier Barde-Cabuçon, Casanova et la femme sans visage (2013) [roman]
  3. Patrice Pellerin, L’Épervier - Les escales d'un corsaire (2013) [supplément à une série de BD]
  4. Patrick Cothias & Norma, Les souvenirs de la pendule (3 tomes, 1989-1990) [BD]
  5. Olivier Barde-Cabuçon, Messe noire (2013) [roman]

Mort étrange et bonne surprise

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Depuis quelque temps déjà, c’est sur la pointe des pieds que je m’approche du rayon « polars historiques » d’une librairie. Mes déceptions dans les lectures de ce genre étaient devenues largement majoritaires sur mes satisfactions. Les romans à énigmes à la façon d’Agatha Christie me fatiguent autant dans une ambiance des années 1920 que dans un univers médiéval ou au Siècle des Lumières. Et Les romans où l’auteur plaque le contexte historique sous forme de leçons ou dans des dialogues interminables me fatiguent tout autant. Mes coups de cœur sont donc très rares, parmi lesquels A Conspiracy of Paper / Une conspiration de papier de David Liss, ou An Instance of the Fingerpost / Le cercle de la croix, de Iain Pears. Quant aux « séries policières historiques », j’en suis largement revenu, après des années de gloutonnerie de lecture.

Pour me faire sortir de ma réserve, il faut donc me jeter des appâts auxquels il m’est difficile de résister. Là, pour le coup, « polar historique + Casanova + éditions Actes Sud », j’ai eu un moment de faiblesse. Le genre de moment d’inattention qui fait que vous prenez un coup d’épée dans un combat déloyal.



En l’occurrence, c’est Olivier Barde-Capuçon avec son Casanova et la femme sans visage (Actes Sud, collection Babel noir n° 82, 2013, ISBN 978-2-330-01777-4, présentation sur le site de l’éditeur) qui a trompé ma défense pour porter son attaque. Un crime avec une victime sauvagement mutilée, un duo d’enquêteurs formé par un « commissaire aux morts étranges » et d’un moine qui sent le soufre, une galerie de personnages incluant Casanova le comte de Saint-Germain, manipulateurs d’esprits crédules, des grands personnages du royaume comme Louis XV et la marquise de Pompadour, et diverses coteries qui cherchent à remettre ce roi pervers dans le droit chemin ou, au contraire, à jeter la monarchie à bas.
Présentés comme ça, les ingrédients peuvent laisser présager une soupe indigeste. Pourtant, j’ai été surpris par la saveur assez fine de ce roman. Et je reconnais m’être laissé porter par le suspense tout au long des plus de 440 pages.

Si j’osais une comparaison de série à série, je dirais que cette « enquête du commissaire aux morts étranges », c’est un peu l’autre côté du miroir par rapport à une enquête de Nicolas Le Floch sous la plume de Jean-François Parot. Chez Barde-Cabuçon, le commissaire a un passé trouble ; son compagnon de route, un passé encore plus trouble ; le roi Louis XV est un monarque cyclothymique à tendance pédophile ; son valet Le Bel, un maquereau ; Sartine, un intriguant qui ne joue que ses propres cartes ; et le parti dévot est presque la moins dangereuse des forces qui agissent dans l’ombre.
Je ne célèbre pas devant ce roman comme s’il était exempt de tout défaut. Ainsi, parfois, le côté « police scientifique » frôle l’anachronique. Mais, comme cela faisait longtemps que je n’avais pas eu une vraie bonne surprise en polar historique, je ne vais pas bouder le plaisir que m’a procuré ce Casanova et la femme sans visage.

Et, alors que la série de Jean-François Parot a fini par perdre ma fidélité de lecteur (L’enquête russe, en 2012, m’avait fait franchir la limite de que j’arrivais encore à supporter, mais mon intérêt s’était déjà étiolé depuis deux ou trois titres de la série), je vais sûrement me pencher sur un autre roman d’Olivier Barde-Cabuçon dans sa série du chevalier de Volnay.
Évidemment, si cet autre roman me déçoit, je ne manquerai de lui donner la bastonnade. Au roman, pas à l’auteur. Je précise, vu que certains (lecteurs de mes billets ou auteurs eux-mêmes) ont parfois du mal à faire la différence entre mon avis négatif sur un livre et mon avis sur son auteur.
Et si cet autre roman me plaît, je le dirai tout aussi spontanément.

D’ici là, partisans ou opposants du commissaire aux morts étranges, n’hésitez pas à vous exprimer dans les commentaires de ce billet !

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PS : en ces temps où la caricature déchaîne les instincts meurtriers des esprits les plus dogmatiques, je signale la couverture de ce roman détournée sur le site couvzenvrac, sous le titre Casanova et la femme sans visa, et avec une aquarelle de Gaston Leroux.


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Coup d’oeil en coulisses

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Les deux façons de traiter les « petits secrets de fabrication » sont légitimes : savourer un plat, un tour de magie, tableau, un film, sans se demander les efforts qui ont été nécessaires à le préparer et qui n’apparaissent pas dans ce qui semble être la facilité, la fluidité, du résultat final ; ou, au contraire, être piqué de la curiosité de savoir ce qui se cache sous la façade, les ingrédients particuliers, les tours de main répétés jusqu’à ce que la technique s’efface pour laisser la place à l’art, les petits trucs qui trompent nos sens.
Je dis sans détour que je suis un membre de la tribu des curieux. Non pas pour dénigrer le résultat final, mais par considération pour les efforts préparatoires, à mille lieues de ce que les « vendeurs de soupe médiatique ou culturelle » veulent nous faire avaler, comme les chanteurs qui devraient se contenter de chanter sous leur douche et que ces vendeurs installent au sommet des ventes d’albums, dans cette géographie trompeuse où l’on veut nous faire prendre les sommets des ventes pour les sommets de la qualité. Succès commercial et qualité ne sont pas forcément antagonistes, mais bien des exemples prouvent qu’ils ne sont pas, non plus, obligatoirement synonymes.


Pour en revenir à mon goût des coulisses – plus particulièrement dans le domaine de la bande dessinée, univers dont il sera question dans ce billet –, j’avais été très intéressé par deux livres qui éclairaient deux œuvres de François Bourgeon, un des dessinateurs et scénaristes du mon panthéon personnel du neuvième art :
– Dans le sillage des sirènes, de Michel Thiébaut (éd. Casterman, 1992, ISBN : 2-203-38021-7), autour de la série Les compagnons du crépuscule ;
– Les chantiers d’une aventure, du même Michel Thiébaut (éd. Casterman, 1994, ISBN : 2-203-38023-3), autour de la série Les passagers du vent, et dont j’avais dit quelques mots par ailleurs



Plus récemment, L’Épervier – Les escales d’un corsaire(éd. Soleil / Quadrants / Pelerin, 2013, 9-782-3-0203144-9) ont été publiées pour jouer un rôle similaire sur la série L’Épervierde Patrice Pellerin.
Cette série tourne autour des aventures terrestres et maritime d’un jeune noble breton sous le règne de Louis XV. Il m’est donc difficile, de ne pas penser, d’une manière ou d’une autre, aux Passagers du vent, qui avait porté le genre au pinacle. Pour autant, je ne tombe pas dans la comparaison forcenée, et je prends L’Épervier pour la série qu’elle est par elle-même. Et si la construction du récit et le graphisme sont moins puissants, à mes yeux, que dans l’œuvre de Bourgeon, la création de Patrice Pellerin n’est pas du second choix.




Le contenu des Escales d’un corsaire n’est pas inconnu des fans de la série : en effet, il s’agit surtout d’une compilation, dans une nouvelle mise en page, des articles accompagnant la prépublication des albums La Mission et Corsaire du Roy sous forme de livrets souples. Les albums de la série étaient publiés avec des délais de deux ans voire plus entre deux tomes : Le Trépassé de Kermellec (1994), Le Rocher du crâne (1995), Tempête sur Brest (1997), Captives à bord (1999), Le Trésor du Mahury (2001), Les Larmes de Tlaloc (2005), La Mission(2009), Corsaire du Roy (2012).




Il fallait donc bien jeter un os à ronger aux lecteurs impatients ! Mais ces os étaient garnis de suffisamment de viande pour que cette opération commerciale ne soit pas une arnaque outrancière. Ces 6 livrets – publiés sous le titre générique des Rendez-vous de l’Épervier (juin 2008, septembre 2008, avril 2009, mars 2011, avril 2012 et septembre 2012) – comprenaient des planches de ces deux BD, des esquisses, des illustrations en pleine page, et des documents annexes. Ces derniers ont été écrits par Pellerin lui-même en majorité, ainsi que par des historiens, des spécialistes du patrimoine, et s’organisent en quatre parties : « Être un marin du XVIIIe siècle », « Des lieux chargés d’histoire », « Un corsaire parmi les ors de Versailles », « Les coulisses de la création ».



Chaque lecteur peut ainsi découvrir comment Pellerin trouve des inspirations parfois fortuites, comment il intègre à ses dessins des lieux et bâtiments existant encore aujourd’hui, ou comment il reconstitue de manière plausible des lieux disparus. Les Escales d’un corsaire lèvent un coin du voile sur des maquettes, des plans, des photographies, des tableaux, qui ont nourri Pellerin et sa création, et aussi sur les relations humaines avec ceux qui lui ont prodigué des conseils et qui sont, pour certains, devenus ses amis.




Ce souci de la précision, jusque dans des détails qui échapperont probablement à la grande majorité des lecteurs qui ne sont pas aussi « pointus », est un plaisir que je comprends chez une personne qui dessine, comme chez une personne qui réalise un film, qui en choisit les costumes, les décors, les accessoires.
Je ne doute pas que bien d’autres auteurs et dessinateurs de BD préparent tout autant leurs propres créations. Et je ne prétends donc pas que Pellerin est au-dessus de lot dans sa préparation. Mais au moins, je dis que ce genre de livre satisfait ma curiosité. Il la satisfait doublement, comme bédéphile et comme amateur du XVIIIe siècle.



Ces Escales de l’Épervier n’ont rien d’indispensable : vous pourrez très bien vivre sans les lire. Et c’est peut-être bien parce qu’elles n’ont rien d’indispensable que vous aurez la frivolité de vous laisser aller à les parcourir !



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Tictac sans saveur

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Les bédéphiles n’ignorent probablement pas les noms du scénariste Patrick Cothias et du dessinateur Norma.
Cothias a écrit quelques albums isolés mais s’est surtout rendu célèbre pour être l’auteur de séries à succès et souvent de longue haleine, en particulier dans des ambiances « historiques » : des 7 Vies de l’Épervier (en cours depuis 1983) au Vent des Dieux (1985-2011) en passant par Les Héros cavaliers (1986-1997) et autre Ninon secrète (1992-2004). Les sagas de la plume de Cothias m’ont parfois tenu en haleine, et parfois laissé sur le bord de la route quand j’avais l’impression d’une manque de renouvellement.

Quant à Norma, il a dessiné dans des genres très éclectiques, du western avec Capitaine Apache (1980-1995) aux explorations maritimes avec Pieter Hoorn (1991-1994), en passant par la nouvelle formule de Pif Gadget (2009). Le trait de Norma – trop chargé, presque trop appliqué – n’a jamais réussi, à lui seul, à soulever mon enthousiasme, même si j’ai pris quelque plaisir à lire Pieter Hoorn ou son adaptation graphique du Bossu (1997) sur un scénario de François Corteggiani.



Patrick Cothias et Norma s’associent à la fin des années 1980 pour produire Les souvenirs de la pendule, une évocation de la vie de Marie-Antoinette, future reine de France. Trois tomes naissent de cette collaboration, aux éditions Glénat, dans la collection Vécu : Schönbrunn (1989, ISBN 2-7234-1013-7), L’étrangère (1989, ISBN 2-7234-1108-7) et La vie de château (1990, ISBN 2-7234-1195-8).

Ces Souvenirs de la pendule s’inscrivent pleinement dans ce que j’ose appeler le « milieu de gamme » qu’offrait dans ces années-là la collection Vécu de Glénat. Des séries avec parfois des albums par dizaine, ancrées dans diverses périodes de notre Histoire, dont certaines d’une très grande qualité graphique et narrative (je pense, par exemple aux Tours de Bois-Mauryd’Hermann, ou la première douzaine de tomes des Chemins de Malefosse quand ils étaient encore tracés par le duo Bardet-Dermaut, ou, bien sûr l’excellente Giacomo C de Dufaux et Griffo), d’autres plutôt passe-partout (Marie Tempête de Cothias et Wachs, ou le Pieter Hoorn que j’ai évoqué plus haut), et d’autres tout à fait oubliables – et d’ailleurs très probablement oubliées (comme Attila… mon amour de Mitton et Bonnet).

J’ose comparer cette collection Vécu de Glénat à la collection Grands détectives chez 10|18 : à mes yeux, du très bon, rarement ; du moyen, souvent ; du vraiment pas bon, parfois.


Les souvenirs de la pendule entrent dans la catégorie « oubliables-oubliés ». Dessin parfois si approximatif que j’ai peiné à discerner certains personnages des autres, texte bavard, ambiance gnangnan dans certaines parties et, au contraire, outrancière dans d’autres, mise en couleurs criarde de certaines pages, la lecture de cette trilogie m’a été douloureuse. J’ignore si une suite était prévue à ces trois premiers tomes ; toujours est-il que l’histoire que conte cette trilogie commence dans l’enfance de Marie-Antoinette et s’arrête en 1773, lorsque le déjà-couple-futur-royal arrive à Paris.


Je suis loin d’être un adorateur de Marie-Antoinette, je ne hurle pas « Au bûcher ! » lorsque sa vie fait l’objet d’adaptations déjantées, comme celle de Sofia Coppola, pas plus que je ne me rends en pèlerinage à Versailles pour l’anniversaire de sa mort. Et je ne suis pas nostalgique de la royauté ou de l’Ancien régime en général. Mon ressenti vis-à-vis des Souvenirs de la pendule n’est pas donc pas influencé par ces considérations. Et j’ai parfois des indulgences très subjectives pour des œuvres que d’aucuns jugent avec sévérité. Mais, ici, je n’incline pas à l’indulgence : je n’ai pas aimé. Point.


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Contenu explicite... ou pas

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Il n’est pas impossible que, dans moins d’un mois, au moins de mes blogs sur Blogger se voie frappé d’une obligation d’être rendu « privé », c’est-à-dire d’un accès limité à des personnes s’inscrivant auprès de moi.
La raison en est le « Règlement relatif au contenu réservé aux adultes sur Blogger », dont voici le texte intégral :

À compter du 23 mars 2015, vous ne pourrez plus partager publiquement d'images ni de vidéos à caractère sexuel explicite ou montrant de la nudité sur Blogger.
Remarque : La nudité restera autorisée dans le contenu présentant un intérêt important pour le public, par exemple dans un contexte artistique, éducatif, documentaire ou scientifique.
Les modifications apportées à vos blogs existants
Si vous n'avez pas publié d'images ni de vidéos à caractère sexuel explicite ou montrant de la nudité sur votre blog, vous ne remarquerez aucun changement.
Si, par contre, votre blog inclut ce type de contenu, il ne sera plus accessible qu'en mode privé à compter du 23 mars 2015. Nous ne supprimerons pas de contenu, mais seuls le propriétaire ou les administrateurs du blog et les personnes avec lesquelles le propriétaire l'a partagé ont accès au contenu privé.
Les paramètres de vos blogs existants à modifier
Si votre blog a été créé avant le 23 mars 2015 et présente du contenu qui ne respecte pas cette nouvelle règle, plusieurs options s'offrent à vous avant son entrée en vigueur :
- Supprimer de votre blog les images ou les vidéos à caractère sexuel explicite ou avec des scènes de nudité
- Rendre votre blog privé

Si vous préférez supprimer votre blog de Blogger, vous pouvez l'exporter au format XML ou archiver le texte et les images qu'il contient à l'aide de Google Takeout.
Les conséquences pour les nouveaux blogs
Pour les blogs créés après le 23 mars 2015, nous pouvons être amenés à supprimer le blog ou à prendre d'autres mesures s'il présente du contenu à caractère sexuel explicite ou montrant de la nudité, conformément à notre Règlement relatif au contenu.

Il restera donc à voir si les billets dans lesquels j’ai utilisé des images comportant de la nudité entreront dans le champ des exceptions, à savoir « le contenu présentant un intérêt important pour le public, par exemple dans un contexte artistique, éducatif, documentaire ou scientifique ».

Je ne compte pas changer la façon de faire à laquelle je me suis tenu depuis que j’ai ouvert ces blogs : je ne cherche pas à être racoleur, mais, pour autant, je ne vais pas tourner le dos à toutes les œuvres qui comportent de la nudité, que ce soit celles qui décorent les salons de Monsieur de C., ou celles que je déniche dans le sillage de Corto, et que je relaie en sifflotant un air de défi.

Je ne tournerai pas le dos aux œuvres de François Boucher.



Ni à celles de Jean-Louis Sieff.




Ni à celles d’Hugo Pratt.



Et peut-être même irais-je jusqu’à écrire un billet spécifique sur une femme nue. Lulu, par exemple.




Chacun mène les combats qu’il peut !

Messe grise

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La lecture de Casanova et la femme sans visage avait été une surprise plutôt agréable. Un roman policier dix-huitiémiste où l’auteur conviait, en personnages de premier plan (hors les deux « héros »), Sartine, Casanova et le comte de Saint-Germain. Du beau linge, et une intrigue qui ne s’essoufflait pas au fil des pages. Je me suis donc laissé aller à lire un deuxième roman d’Olivier Barde-Cabuçon de cette série de polars du « commissaire aux morts étranges » sous le règne de Louis XV : Messe noire (éd. Actes Sud, collection Babel Noir, 2013, 978-2330-02698-1 ; fiche de présentation sur le site de l’éditeur).


Le titre du roman est celui de la scène qui l’ouvre : une froide nuit d’hiver, un cimetière, le corps d’une enfant, et les restes d’une probable messe noire interrompue en cours de rituel. Les indices sont minces, mais le chevalier de Volnay et son étrange acolyte, duo dont on a fait connaissance dans le premier volume de la série, ne se laisseront pas décourager par cette minceur. Accompagnés d’une certaine Hélène de Troie (un pseudonyme, pensez-vous?) que Sartine, devenu lieutenant général de police leur a mis dans les pattes, ils se lancent sur la piste des satanistes.

« En haut lieu », on ne se réjouit pas à la perspective d’une résurgence d’une affaire sulfureuse comme celle des Poisons, qui avait secoué le règne de Louis XIV jusque dans l’entourage direct du roi. L’enquête de Volnay et du moine prend donc un tour politique, et dans ce genre d’ambiance, il y a de quoi se demander qui veut vraiment que la vérité éclate, et qui préfère que les vilaines histoires restent dans l’ombre.

Je ne déflorerai pas les dessous de l’intrigue, et me contenterai de dire que, jusqu’à une cinquantaine de pages de la fin du roman, j’étais bien content de ma lecture. Même si, comme dans une proportion non négligeable de « polars à énigmes », les enquêteurs ont souvent un peu trop de chance, un peu trop de facilité à extrapoler avec justesse à partir de bribes d’information, un peu trop de capacité à survivre, les armes à la main, à des adversaires bien meilleurs bretteurs qu’eux. Et, dans ces « enquêtes du commissaire aux morts étranges », comme dans d’autres polars historiques (la série mettant en scène Nicolas Le Floch, par exemple, pour en citer une dont l’arrière-plan historique est similaire), une propension à être très en avance sur leur temps, que ce soit sur le plan de la pensée politique ou des sciences médico-légales.

Passant par-dessus ces petits défauts souvent inhérents à ce genre de roman où se croisent les styles « polar » et « roman de cape et d’épée », je ne boudais pas mon plaisir. Et là, dans la dernière ligne droite, paf ! Le genre de chapitre qui me reste toujours en travers de la gorge : le chapitre où l’auteur, par la voix de l’enquêteur qui a tout compris et du coupable qui avoue tout, repasse en revue toutes les pièces du puzzle qu’il avait semées sous les yeux du lecteur, et explique audit lecteur toute la finesse du plan du méchant et toute la finesse encore plus grande de l’enquêteur qui a vu clair dans le jeu du méchant. Bon sans de bon sang, j’en suis arrivé à détester ces étalages artificiels. En tant que lecteur, j’accepte pleinement de me faire entourlouper par un auteur ; comme, en tant que spectateur, j’accepte pleinement de me faire entourlouper par un scénariste (comme Christopher McQuarrie pour Usual Suspects). Quand c’est le cas, j’applaudis : je perds le combat (de l’esprit) avec fair-play. Mais ce « chapitre explicatif » si caractéristique des « romans policiers à énigme » déclenche, chez moi, une réaction allergique.
Je suis peut-être comme un buveur qui sait que sa bouteille de gnôle lui donnera un mal de crâne carabiné le lendemain matin mais qui la boit quand même parce qu’il a du mal à s’en passer. Je sais que le chapitre final d’un roman à énigme, le chapitre-qui-vous-dit-tout, me donnera la gueule de bois. Et pourtant, je me laisse aller à en lire encore un, de temps en temps.
Mais il me faut du temps pour faire passer la gueule de bois. Surtout quand c’est juste le dernier verre de la bouteille qui me donne un coup derrière la tête.


Cette Messe noireétait savoureuse... jusqu’au moment où le barman, à qui je demandais juste de me servir mon poison, s’est mis en tête de me faire la leçon, et j’ai ressenti qu’il me prenait pour un demeuré. C’est peut-être parce que les premiers verres m’avaient suffisamment grisé pour que j’oublie les petits trucs pas trop crédibles et que je me laisse porter par l’histoire. Mais le dernier verre m’a, paradoxalement, dégrisé et assommé à la fois.


Messe noire (prix Historia du roman policier en 2013) est un bon roman à énigme.


C’est moi qui ne suis pas fait pour les romans à énigme. Ou pas fait pour le chapitre final des romans à énigme. Le prochain que je lirai me le dira peut-être. Allez savoir !




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